• Je travaille dans une zone industrielle assez isolée.
    Toutes les semaines, je trouve dans le hall une enveloppe kraft à l'adresse manuscrite, non affranchie, contenant un hebdomadaire destiné à une société qui n'est pas domiciliée dans ce bâtiment et n'y a jamais été.
    Le destinataire, contacté, dit recevoir ce magazine normalement par la poste toutes les semaines.
    L'exemplaire qui gît dans le hall est donc surnuméraire, et le destinataire n'en a cure.
    L'éditeur n'est pas au courant d'un contrat de livraison de son magasine selon cette modalité.
    Récapitulons.
    Il y a un type qui se déplace dans cette zone perdue, toutes les semaines, pour apporter à la mauvaise adresse un magazine qui n'intéresse pas son destinataire, le tout sans qu'aucun abonnement n'ai été souscrit qui lui dise de le faire.
    Il y a un truc qui ne doit pas fonctionner.
    Dans notre société managériale, organisée, optimisée, efficiente, informatisée, il semblerait que l'Entropie ait encore de l'avenir.



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  • Ce matin, les jeunes moineaux de l'année prennent leur premier envol, dans les arbres devant le bureau. Encore hésitants, sur leurs ailes un peu courtes et ébouriffés, ils découvrent le monde en dehors du nid, sans doute émerveillés et apeurés à la fois.

    Et moi pendant ce temps, je fais de l'informatique.
    Il paraît que c'est important.
    J'ai un peu de mal à y croire, soudainement.


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  • Il y a un type, dans un bar. Il vient tous les jours ou presque boire son café. C'est son prétexte. Ce qu'il cherche ? Pas une dose d'excitant, encore que c'est peut-être ce qu'il est convaincu de faire. Alors quoi ? Personne ou presque ne le regarde, et presque toujours furtivement. Personne ne lui parle et lui n'ose pas, ou si peu.
    Il regarde les gens, comme ils se comportent : l'assurance orgueilleuse des uns, l'aisance des autres. Pas avec jalousie, mais avec douleur. Et il regarde les femmes, furtivement. Pas avec concupiscence, avec envie, avec désespoir. Son regard ne s'attarde pas, non par négligence ou désintérêt, mais parce qu'il a peur. Peur qu'on le surprenne, qu'on le fusille d'un regard noir, ou pire, d'une remarque assassine.
    Il a un regard doux. Et si triste.
    Il vit dans un monde qui vend du plaisir, de la joie, la liberté. Un monde qui affiche le bonheur d'être jeune, libre, aisé, et beau. Un monde qui lui a promis la complicité d'une âme sœur, l'affirmation du couple comme normalité, l'amour et la séduction comme marque de succès social. Et qui lui vend sans cesse les recettes pour en faire partie.
    Ce monde ne tient pas ses promesses envers lui.
    Il le condamne à un éternel pourquoi ? Pourquoi pas lui ? Quel crime a-t-il commis, lui comme des millions d'autres, pour être dans cet enfer de solitude ?
    Un seul.
    Dans ce monde d'apparence, il est laid.
    Pire, il le sait.
    Perdu dans ton monde de sensualité exposée à toutes les devantures, packagée, institutionnalisée par les modes vestimentaires, décrétée comme norme psychologique et comportementale, promue signe extérieur de disposition à l'amour (physique à défaut de réel), regardes-le.
    Tu sauras alors quel crime ce monde mercantile commet, lui, tous les jours, envers l'âme de cet homme.



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